De la destruction à la sauvegarde du Patrimoine
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  • Aujourd’hui, dans notre société occidentale, le patrimoine est devenu un bien sacré et inviolable. Depuis la Révolution Française, la République a beaucoup œuvré pour préserver les témoignages de son passé et pour éduquer les citoyens à la sauvegarde des biens culturels. Bien qu’on imagine cette préservation aussi récente, l’histoire de la destruction et de la sauvegarde du patrimoine est étroitement liée à celle de la citoyenneté et de la construction d’une culture religieuse et nationaliste. Dès les prémices de la civilisation, des meneurs religieux ou politiques vont très vite comprendre la force du patrimoine : rassembler et d’unir des citoyens pour créer l’idée qu’ils appartiennent à une nation commune. Des motivations qui expliquent pourquoi les actes de destruction et de sauvegarde se retrouvent tout au long de l’Histoire dans toutes les civilisations.


    Attardons nous sur quelques définitions.

    La destruction, selon le Larousse, c’est l’action d’anéantir, de faire disparaître quelque chose. On parle aussi de vandalisme, du nom des Vandales, un peuple germanique qui a mis Rome à sac en 455 ap. J.C.. 

    Les destructions peuvent prendre plusieurs formes et il faut faire la différence entre celles qui sont liées à des causes naturelles (comme un tremblement de terre) et celles qui sont liées à des causes humaines, sur lesquelles nous allons revenir.

    Les causes de la destruction du patrimoine sont multiples, et plusieurs auteurs, tels que Montalembert, Fleury, Leproux ou Réau les ont divisées en différentes catégories. Généralement, on retient le classement de Louis Réau qui en donne 5 types :

    • le vandalisme lié aux guerres, aux tourments politiques ou à la religion, qui va chercher à détruire les symboles d’une autre civilisation ou d’une autre religion. C’est le plus marquant car il touche à notre identité et à notre société
    • le vandalisme dit pudibond, où on censure ce qui nous choque, comme les représentations de nu. Ce fut le cas pour les peintures de la Chapelle Sixtine. Toujours en Italie, mais plus proche de nous, on peut rappeler que des statues ont été couvertes lors de la visite du président iranien en 2015 pour que leur nudité ne choque pas.
    • le vandalisme lié à l’ignorance, à une attitude puérile, comme celle des casseurs, à la décision de faire disparaître un bâtiment lié à un mauvais souvenir, comme la Bastille ou les camps de concentration. Beaucoup de sites archéologiques, tel que Pompéi ont également été détruits par ignorance, car les fouilles ont été réalisées par des amateurs, que les méthodes de fouilles à l’époque n’étaient pas encore clairement définies, et qu’ils ne se doutaient pas que fouiller un site entrainait sa destruction, et que les informations sont alors perdues à jamais.
    • le vandalisme peut aussi être lié à la cupidité, c’est à dire qu’on détruit pour vendre les objets au marché noir. C’est souvent la méthode qu’utilisent des groupuscules pour se financer. On peut aussi citer dans cette catégorie les pilleurs de sites, de tombes et les chercheurs de trésors.
    • le vandalisme impérialiste, aussi appelé elginisme, du nom de Lord Elgin qui ramena les frises du Parthénon à Londres. Ce mot est d’ailleurs né sous la plume de Louis Réau. Il se traduit par les faits d’extraire un bien culturel de son contexte ou de son lieu d’origine pour l’exposer ailleurs. Les premières mentions de ce type de vol remontent à l’Antiquité. Dans les Verrines, Cicéron dénonce dans une série de discours datant de 70 av. J.C., les vols de biens culturels perpétrés par Verrès, propréteur en Sicile

    Voilà pour la partie « définitions ».

    La destruction est un phénomène très ancien. On a évoqué l’Antiquité, mais plusieurs découvertes archéologiques l’ont mise en évidence dans des sites du Paléolithique, comme à Nataruk au Kenya, ou dans des sites du néolithique européen. Les archéologues ont découvert lors des fouilles des fosses communes ou des tombes collectives dont les ossements humains comportent des traces de blessures de guerre : des os percé, des crânes fendus ou cassés, des traumatismes faciaux ou encore des pointes de flèches piquées dans les os. Sur certains sites, l’importance des ossements révèlent même un massacre de masse, comme à Schoneck-Kilianstadten en Allemagne, voire de cannibalisme, comme à Herxheim en Allemagne.

    Pour Jean Guilaine, la violence et la guerre au néolithique, tout comme la chasse, ont une fonction de prestige. On est au début des chefferies, et pour imposer son pouvoir, il faut montrer sa puissance. Alors en quoi ces massacres ont-ils un lien avec la destruction du patrimoine ? Tout simplement car ces tueries se sont forcément accompagnées de la disparition de la culture des vaincus. En rasant l’existence de l’autre, il est plus facile d’intégrer une population à sa culture ou de l’imposer à un groupe.


    De ce phénomène, nous en avons plusieurs mentions dans la Bible. On peut citer celle du Veau d’or, l’idole égyptienne faite par les Hébreux dans un moment de doute quant à la capacité de Moïse de les faire rejoindre la terre promise. Moïse détruira dans la nuit ce symbole de la religion de l’autre pour réunir les hébreux autour d’une même croyance.

    Il y a aussi la destruction de Jéricho, dont les remparts tombent miraculeusement après 7 jours pour permettre aux troupes de Josué de prendre la ville, de la raser et de la maudire, selon les ordres de Dieu. On peut également revenir sur la destruction du second temple par Titus en 70 ap. J.C., dont les vestiges donneront naissance à un des lieux centraux dans la culture et la religion juive : le mur des lamentations.

    Dans l’Antiquité, les sources écrites attestent plus objectivement de l’existence de la destruction et du vandalisme. Nous avons évoqué l’elgénisme décrié par Cicéron. Mais la civilisation romaine a connu des épisodes plus violents, comme les sacs de Rome. Le premier a lieu en 390 av. J.C. par les troupes gauloises de Brennus, dont le sac et le pillage laisseront la ville de Rome un tel souvenir, que toutes les stratégies militaires successives auront pour but de neutraliser la menace gauloise, avec la conquête de la Gaule cisalpine au IIe siècle av. J.C.. Ce sont les visions de deux civilisations qui s’opposent : celles des gaulois, ces barbares qui n’ont pas la notion du respect des us et coutumes de l’autre et celles des romains, qui ont hérité leur culture des grecs et qui pour qui l’art et le patrimoine sont centraux dans la société et dans la vie des citoyens.

    Les choses changent pour les sacs suivants. Au Ve siècle, les troupes goths d’Alaric sont converties depuis peu à l’arianisme, une forme proche du christianisme. Durant le sac de Rome en 410, les barbares vont piller la ville pendant 3 jours tout en épargnant la vie des hommes, l’honneur des femmes, et en laissant les églises intactes. Les basiliques de Saint-Paul et de Saint-Pierre sont définies comme des lieux d’asile inviolable. Les biens pris aux églises leur seront même restitués. Une partie de la ville est cependant brulée, les archives impériales sont détruites, et de nombreuses statues, celles qui ne sont pas chrétiennes sont vandalisées.

    En 455, l’empereur Valentinien III est assassiné. Sa veuve appelle alors à l’aide au roi des Vandales, Genséric, pour qu’il le venge. Ses troupes déferlent sur Rome pour récupérer un maximum d’or. Egalement arianistes, les Vandales respectent les indications du pape Léon Ier, qui demande que les églises et les biens leurs appartenant ne soit pas vandalisées, que la vie des chrétiens soit épargnée, ainsi que l’honneur des femmes.

    Après la chute de l’Empire romain d’Occident et la fin de la civilisation romaine, la notion de protection et de respect du patrimoine religieux semble à nouveau disparaître et les destructions de biens culturels reprennent, notamment à travers les expéditions des Vikings. Ainsi, le 8 juin 793, le pillage du monastère de Lindisfarne plonge le monde occidental dans l’effroi. Décrit dans un poème et 5 lettres que le moine Alcuin adresse à différentes personnalités anglaises, ce raid reste dans les mémoires. Ici encore, ce sont deux civilisations avec deux notions du respect culturel qui s’opposent. 

    Mais il serait faux de penser que le chrétien d’Occident est plus emprunt de protection patrimoniale. En 1204, lors de la quatrième croisade, les croisés ravagent Constantinople. Ils incendient et pillent la ville, cassent de nombreuses œuvres d’art, mais en rapportent également beaucoup, dont un nombre important de reliques et des sculptures de chevaux, dont certains étaient visibles jusqu’à peu sur la façade de l’église San Marco à Venise. L’idée de préserver ce qui est beau et exotique apparaît.

    C’est d’ailleurs à la Renaissance, alors qu’on prend conscience de la valeur de l’histoire et de l’importance du passé, que les biens culturels suscitent un regain d’intérêt. Ils deviennent des objets d’études, qu’on collecte et qu’on rassemble. Le jardin du Vatican devient un musée à ciel ouvert, où de nombreuses statues antiques sont exposées. 


    Cet intérêt pour l’Antiquité pose les bases de la protection et de la collection des œuvres d’art et donne naissance aux Cabinets de Curiosité. Néanmoins, le patrimoine moderne, lui, ne bénéficie pas de cette reconnaissance et subit des destructions, notamment liées aux censures de l’époque, comme on l’a évoqué avec les plafonds de la Chapelle Sixtine. De plus, la notion de sauvegarde du Patrimoine ancien disparaît toujours en périodes de guerre. En 1687, alors que le Parthénon est un dépôt de poudre ottoman, les Vénitiens l’attaquent, et font exploser la toiture.

    Si la prise de conscience débute dans les classes aristocratiques et cléricales, c’est à la Révolution Française que l’histoire de la protection des biens culturels débute véritablement. Alors que Robespierre demande à ses disciples de détruire les symboles de la royauté et du christianisme, l’Abbé Grégoire s’élève contre les pillages et demande à la toute jeune république de légiférer pour sauver son patrimoine et pour le mettre à disposition de ceux à qui il appartient, les français. Il déclare « le respect public entoure particulièrement les objets nationaux qui, n’étant à personne, sont la propriété de tous ». Ce discours donne naissance aux Monuments Historiques et aux musées. L’Etat inculque alors à ces citoyens le respect de leur patrimoine, lié à l’histoire de la nation.

    Au cours du XIXe siècle, le patrimoine va connaître un vrai intérêt populaire. Les classes sociales moins élevées défilent dans les musées pour découvrir des trésors, plus ou moins nationaux. L’Etat s’affaire pour protéger les biens historiques afin que chaque citoyen puisse visiter les lieux qui ont fait son histoire. Même si le patrimoine va connaître encore quelques destructions, principalement involontaires, notamment sous la Commune de Paris en 1871, il devient un élément central dans la vie des français. Le XIXe siècle est aussi marqué par la réapparition en Europe du vandalisme elgeniste. Investies d’une mission presque divine, différentes troupes partent récupérer des objets dans des pays peu stables pour les protéger. Les collections actuelles du Louvre doivent beaucoup aux expéditions de Napoléon en Egypte ou en Italie.

    Au XXe siècle, on assiste encore, malgré l’intensification des organismes de protections nationaux, européens, et internationaux et à une prise de conscience planétaire, à des destructions du patrimoine, notamment en Asie : sous la dictature de Mao, lors des attaques des Khmers rouges qui vont s’en prendre aux pagodes entre 1975 et 1979.


    Mais, il faut le reconnaître, depuis la fin de la guerre, les destructions ont quasiment disparu en Europe. Hormis quelques épisodes particuliers de vandalisme, tels que le baiser rouge sur la toile blanche de Cy Twombly en 2007 ou les dégradations subies par les œuvres d’Anish Kapoor dans les jardins du Château de Versailles en 2015, le patrimoine devenu sacré et donc intouchable. Cependant, dans les pays instables politiquement, les destructions du patrimoine sont omniprésentes. On se souvient du dynamitage des bouddhas de Bamiyan en Afghanistan en 2001 par les talibans, pour des motifs religieux. 

    Et actuellement, quand on parle destruction de biens culturels, c’est le triste sort de la Syrie et de l’Irak qui nous vient en tête.  

    Comme nous l’avons abordé, le patrimoine peut jouer un rôle central dans une guerre. En le détruisant, on efface l’histoire d’une population et on peut alors rebâtir une nouvelle civilisation et imposer de nouvelles valeurs et de nouveaux idéaux. On peut également faire passer un petit message à la communauté internationale, comme l’explique Paul Veyne en parlant de la destruction de Palmyre, dans lequel on se revendique d’une autre culture, où la vénération du patrimoine ancien et par extension de l’idolâtrie n’a pas sa place.

    La lutte pour la sauvegarde du Patrimoine n’est pas terminée. En Occident, on a tendance à tout surprotéger mais les moyens financiers sont de moins en moins importants et des choix vont devoir être fait. En Asie, la situation est stable, mais ce sont les risques naturels qui mettent en péril le patrimoine. L’Amérique du sud reste discret mais a des sites naturels en danger. La plus grande préoccupation provient de l’Afrique et du Proche-Orient, ravagés par les guerres, les pillages et l’absence de politiques culturelles. Car sans paix, il n’y a pas de politiques culturelles ; sans ces politiques, il n’y a pas d’éducation des citoyens ; et sans celles-ci, le patrimoine ne peut pas être préservé.


    Les invasions barbares, les Cahiers de Sciences et Vie n°158

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Quatrième_croisade

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrimoine_culturel

    Le trafic d’arts de l’EI dans le collimateur, le Monde, 5 décembre 2015, http://www.lemonde.fr/arts/article/2015/12/03/les-...

    Du vandalisme de la Terreur aux saccages de Daech : la litanie des barbares, http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2015/03/03/31002-...

    http://www.ouest-france.fr/sciences/archeologie-de...

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Verrines


    Image : Bonaparte devant le Sphinx, Jean-Léon Gérôme, 1867-1868, San Simeon, California, United States

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