​On a testé la Nuit de la Tarentelle
illustration article
  • Description
  • A toi Filomena
    Qui a sombré bien trop vite

    Il est 20h30 à Melpignano, un petit village perdu dans le Sud de l’Italie, non loin de Lecce. C’est un soir d’août, et malgré la chaleur encore écrasante, l’humidité s’installe déjà, laissant des gouttelettes d’eau salée dans les cheveux.

    Dans cette région des Pouilles, qu’on appelle la Magna Grecia, on adule une danse traditionnelle très étrange pour les non initiés : la tarentelle et plus particulièrement, sa variante locale : la pizzica. Leurs origines remonteraient au XVIIe siècle, à l’époque où la région salentine faisait partie du Royaume des deux-Siciles.

    L’histoire raconte que la morsure d’une araignée locale entraînait des douleurs insupportables chez les êtres mordus, et notamment chez les femmes, qu’on sait beaucoup plus douillettes que les hommes, les obligeant à danser pour plaire à l’animal et ainsi atténuer la vénénosité du poison.

    Les anthropologues expliquent, eux, que cette danse endiablée, sur des rythmes effrénés, permettait aux hommes et surtout aux femmes de se défouler dans une société trop stricte.

    Au XIXe siècle, la tarentelle s’est codifiée sans perdre de son essence : des répétitions, des sautillements, des courses amoureuses et des chants invoquant lu ientu, lu maru e lu solu (le vent, la mer et le soleil) dans un dialecte local tiré de l’italien.

    Plaisir d’initiés, la danse relevait jusqu’à une vingtaine d’année du folklore. Elle a inondé le cinéma, et s’est éloigné de sa destination initiale : le peuple. Mais dans les années 90, la tendance est à la valorisation de la culture locale. L’Europe emploie les grands moyens pour éveiller dans les populations un orgueil, une fierté de leur origine. C’est ainsi qu’en 1998, la Notte della Taranta a vu le jour. Et en vingt édition, les salentins se sont vus rejoindre par des milliers de passionnés, des apprentis danseurs venus de toute l’Italie, et même de bien plus loin. La Nuit est désormais retransmise en direct à la télévision, sur plusieurs chaînes, dont la Rai.

    Après des années comme spectatrice dans mon fauteuil, j’ai donc sauté le pas. Après avoir réglé 7€ de stationnement en ligne pour pouvoir me garer sur le parking de Château d’Ax, je me suis retrouvée sur la petite place du village. Il est encore tôt et les mordus ne sont pas nombreux. Je me suis installée près de la scène pour être au premier rang. Il y a de nombreux kiosques autour de la place, mais cela sera pour plus tard. 

    La Notte della Taranta, Nuit de la Tarantelle, 2017, Melpignano, Pouilles

    J’avale une part de pizza assise sur le sol, en notant que le réseau téléphonique est déjà saturé, et qu’il ne sera pas possible de patienter avec les réseaux sociaux. Cas cela ne tienne, une chanteuse tout de blanc vêtue est entrée sur scène et commence à donner de la voix.

    Les festivaliers se rapprochent alors. La majorité tient dans les mains des bidons de vin, de 1, 2 voire 5L. La sécurité leur a fait déboucher mais pas jeter. L’alcool coule à flot, et l’ivresse entraîne rapidement les apprentis danseurs dans des sautillements endiablés. Les tambourins retentissent, la foule s’agite alors que le spectacle n’est pas encore officiellement commencé.

    La Notte della Taranta, Nuit de la Tarantelle, 2017, Melpignano, Pouilles

    Derrière moi, Filomena engloutie entre deux sautillements une gorgée de vin. Son groupe d’amis tente de la raisonner, mais la demoiselle a décidé de fêter l’événement. Elle descend ainsi ses 5L en quelques minutes. Il est 21h30 quand soudain Filomena s’effondre. Ses amis s’affairent à la ramener à la vie, la nourrissent de force. Elle finira par revenir à la vie à l’ouverture du concert, dansera deux chansons, puis s’effondrera sur mes pieds, en sueur, avant d’être évacuer par les secours. Pour elle la Nuit s’arrête.

    Elle ne sera pas la seule, Filomena, à sombrer dès les premières minutes du concert, comme si le chant de la mer ne voulait garder que ses enfants les plus dignes.

    22h30. La foule harangue les caméramans : la soirée doit commencer et le direct doit être lancé ! Je jette un coup d’œil autour de moi : la place est pleine, et j’apprendrai le lendemain par la presse que nous étions 200 000. 

    Le croissant de lune éclaire encore le village, quand soudainement, la scène s’illumine. Le spectacle commence enfin.

    La Notte della Taranta, Nuit de la Tarentelle, 2017, Melpignano, Pouilles

    Chanteurs, chansons, danseurs, chorégraphies s’enchaînent en semblant suivre une trame : deux chansons dynamiques, une plus calme. 

    La Notte della Taranta, Nuit de la Tarentelle, 2017, Melpignano, Pouilles

    La Notte della Taranta, Nuit de la Tarentelle, 2017, Melpignano, Pouilles

    Cette année, le maître de cérémonie était Raphael Gualazzi, un pianiste jazzy qui arrangera certaines pizziche pour rester dans sa veine. 

    Car chaque année, un autre style musical est à l’honneur, et les deux genres vont l’un vers l’autre, avec une réussite et un accueil plus ou moins grands. En 2012, le musicien yougoslave Goran Bregovic, maître de cérémonie, avait rendu la tarentelle au peuple en la liant avec son orchestre balkanique, ajoutant aux accès de folie de la pizzica un sentiment de chaos.

    Pour les 20 ans de l’édition, le comité a décidé d’être plus sage, et de laisser une grande place aux artistes étrangers. Beaucoup d’américains, mais aussi une chanteuse israélienne, qui après une chanson en dialecte, chante en hébreu. Un moment de grâce qui nous transporte : touchons-nous des doigts le paradis ?

    La Notte della Taranta, Nuit de la Tarentelle, 2017, Melpignano, Pouilles

    Il est 1h et je suis presque contre la scène. De nombreux mordus ont du quitter leur place pour différentes raisons, mais surtout à cause de l’alcool ingurgité. La seconde partie de la soirée va débuter, et il est temps de s’éloigner de la foule.

    Cette seconde partie de soirée, c’est celle des pizziche pures et dures. Celles qui hypnotisent, qui rendent incontrôlables les humains. Les sautillements et les cris atteignent leur point culminant avec l’arrivée d’Antonio Castrignano. Son nom ne vous dit peut être rien, mais c’est la rock star de la Nuit. Il électrise les foules, les force à danser, à chanter, impose les pauses, les modifications musicales. Il a le droit de vie et de mort sur les spectateurs, qui lui sont entièrement dévoués. Comme à chaque édition, il chantera Aria Ghaddepulina, et comme à chaque fois, ce sera un triomphe. 

    A l’extrémité de la scène, j’observe ces étranges punaises, avant d’être gagné par la morsure de l’araignée.

    La Notte della Taranta, Nuit de la Tarentelle, 2017, Melpignano, Pouilles

    Il est 3h30, et le spectacle n’est toujours pas terminé. La municipalité avait exigé une fin à 3h, pour avoir le temps de nettoyer les lieux. Les kiosques vendent leur dernière marchandise (des produits locaux, des boissons et des souvenirs). Personne ne semble vouloir que la fête se termine.

    Je me résous à quitter les lieux, toutes les bonnes choses doivent avoir une fin.

    En montant dans la voiture, j’entends un son lointain de tamburulu. Pas besoin de m’appeler, je reviendrai l’année prochaine….

proche de ce lieu Proche de ce lieu